Il a été le premier cas recensé de coming-out officiel dans le monde du football professionnel : Justin Fashanu était d’origine nigériane né sur le sol anglais en 1961. Sa jeunesse il l’a passée en compagnie de son frère cadet dans un centre d’accueil pour enfants, où leur mère les avait placés parce qu’elle n’avait pas les moyens pour les élever. La passion de Justin pour le foot il l’a eue dès l’âge de six ans. Il intègre les équipes cadettes de Norwich City et à 17 ans signe son premier contrat professionnel toujours au Norwich City, un club professionnel qui joue en première division depuis 1972 et qui sera un des clubs fondateurs quelques années plus tard de la Premier League. Leur tenue jaune a valu aux joueurs du club le surnom de « Canaries ». Dix-sept jours après la signature du contrat avec Norwich, Justin entre sur le terrain au poste d’attaquant au cours d’un match contre West Bromwich. Sa côte ne va cesser de monter au vu de ses résultats : 103 apparitions et 40 buts marqués dont un but consacré par la BBC meilleur but de la saison 1980/1981 : dos au but à 20 mètres, il effectue un contrôle orienté en direction des cages et pivote sur lui-même avant d’envoyer une reprise dans le petit filet de Ray Clemence, portier d’un Liverpool au sommet de l’Europe à l’époque. Il est acheté un million de livres par Nottingham Forest en 1981 mais ne sera pas à la hauteur des espérances. Il souffre de l’attitude méprisante de l’entraîneur du club, le très capé Brian Clough qui tient quasiment la presse britannique sous sa coupe. La personnalité de Brian Clough est assez écrasante : au club il ne souffre aucune remarque, sa parole -dit-il – est d’évangile, on doit écouter, obéir et se taire. Et malheur à ceux qui regimbent ou n’atteignent pas les objectifs fixés. Bref Brian Clough est un tyran, un pervers narcissique et par-dessus le marché il boit beaucoup trop d’alcool. D’autre part entraîneur écouté et honoré par le monde du football anglais. Malheureusement pour Justin, Brian Clough apprend que celui-ci fréquente régulièrement des lieux gay, et dès lors il va s’employer à humilier le jeune homme à diverses occasions, jusque dans les vestiaires, devant ses camarades. Les préférences sexuelles et affectives de Justin vont être sa croix. Un biographe de Brian Clough révèlera plus tard certains aspects de la relation toxique qu’entretenaient les deux hommes et l’oppression exercée par l’entraîneur de Nottingham. Justin n’est pas en mesure de résister psychologiquement au harcèlement homophobe dont il est l’objet et ne peut parler à personne ! Même pas semble-t-il à John, son demi-frère cadet. Brian Clough ira jusqu’à utiliser la presse britannique, gourmande de ces sujets, pour entacher la réputation de Brian : à l’époque ce genre de révélation constitue une lourde charge dans une société britannique encore très peu ouverte sur le sujet de l’homosexualité. De la part de Brian Cough, qui l’appelle la « tapette » ou la « gonzesse », c’est un véritable acharnement. Après une saison catastrophique sur le plan footballistique, Justin Fashanu est prêté à Southampton où il retrouve temporairement ses capacités sportives et marque trois buts en neuf matchs, en remplacement de Kevin Keegan qui a rejoint le Newcastle United. Incontestablement les relations avec Lawrie McMenemy, l’entraîneur de Southampton sont bien meilleures et on n’entend plus parler durant cette période d’allégation d’homosexualité dans la presse ou ailleurs. Il semble même que Lawrie McMenemy ait voulu racheter le joueur mais les finances du club ne le lui auraient pas permis. Après l’enfer de Southampton, Justin peut-être aurait aimé rejoindre le club de Lawrie McMenehy mais il sera vendu à un autre club, Notts County alors que sa côte a définitivement chuté jusqu’à atteindre 115 000 livres lors de son arrivée à Brighton en juin 1985.
A peine a-t-il entamé sa nouvelle saison qu’il se blesse au genou, une blessure qui entraîne un arrêt prolongé du joueur et le conduit pour une énième opération aux Etats-Unis sans qu’on sache véritablement qui est à l’initiative de ce transfert vers un hôpital de Los Angeles. Justin va séjourner deux années sur le continent nord-américain. Une fois remis sur pied, il intègre le Heat, un club de foot de Los Angeles, puis les Brickmen d’Edmonton évoluant en première ligue canadienne, où il marquera 17 buts en une saison (« un homme charismatique, plein d’enthousiasme, capable de souder et de galvaniser une équipe » dira plus tard un de ses coéquipiers, anglais tout comme Justin, fraichement débarqué lui-aussi au Canada « et même si il y avait des rumeurs, cela n’a jamais posé de problèmes »). De là Justin va faire son retour au Royaume-Uni. En 1989 il signe à Manchester City. A cette époque le frère de Justin, John, est en train d’accomplir une brillante carrière dans le foot anglais. Mais les relations entre les deux frères sont compliquées. John n’est pas enclin à accepter l’homosexualité de son frère aîné. Lors d’un dîner de gala un joueur de Nottingham Forest lui lance : « ton frère c’est un gay » alors qu’ils se croisent aux toilettes. Une bagarre est évitée de justesse grâce à un coéquipier de John qui le retient de frapper l’insolent. Mais le mal est déjà fait depuis des années et John Fashanu l’avouera avec regret très récemment : il ne supportait pas l’idée que Justin puisse être homosexuel. John Fashanu dans un documentaire récemment consacré au destin de Justin avoue sa honte d’avoir rejeté son frère à l’époque, de l’avoir même inciter à faire taire les rumeurs en lui offrant 100 000 livres. John est alors au sommet de sa gloire et Justin au contraire traîne péniblement ses crampons au Manchester City où il fait banquette la plupart du temps. En outre John est effrayé qu’on puisse le confondre avec son frère ! Qu’on puisse le prendre aussi pour une « tapette » ! Justin à court d’argent accepte la proposition et obtient 75 000 livres de son frère mais il est approché par le Sun, un des tabloïds les plus vendus au Royaume-Uni, dont les scoops scabreux et le sensationnalisme constituent le fonds de commerce, journal pour lequel il accepte de se livrer dans une interview « choc » en échange de 70 000 livres.
Le 22 octobre l’article parait et la une du Sun titre : « la star du football anglais à un million de livres révèle : je suis gay ! » Justin y déclare avoir eu une relation avec un parlementaire du Parti Conservateur, homme marié, qu’il aurait rencontré dans un bar gay. La réplique de John est immédiate qui déclare au Voice que son frère est un paria et qu’il ferait n’importe quoi pour faire parler de lui. L’article du Sun va avoir des conséquences néfastes sur une carrière déjà en berne. D’autant plus que Justin grisé par le gain va continuer à inventer des relations sexuelles avec des parlementaires en vue, jusqu’à ce que le décès de l’un d’entre eux au cours d’un jeu sexuel qui s’est mal terminé, conduise la police à convoquer le footballeur pour un interrogatoire : Justin, qui n’est en fait pas impliqué dans ce drame, avoue avoir inventé toutes ces histoires dans le but de se faire de l’argent. Dans le même temps il affiche une relation avec Julie Goodyear, actrice dans la populaire sitcom « Coronation Street », laquelle est non moins avide que lui de vendre à la presse à sensation des révélations sulfureuses. Que peut-on réellement savoir de la vie privée de Justin Fashanu ? On ne lui connait aucune relation masculine durable, mais en revanche tous les faits indiquent qu’il fréquentait assidument les sex-clubs gay et les saunas de Manchester et de Londres. Son manager est convaincu à juste titre que Justin Fashanu s’est grillé pour toutes ces raisons, sur fond de machisme et d’homophobie. Les rares sorties sur le terrain sont accompagnées par les insultes du public, tandis que ses propres coéquipiers déclarent qu’un homosexuel n’a pas sa place dans le football professionnel. Il réussit à « l’exfiltrer » au Canada où il va jouer dans divers clubs sans jamais se fixer nulle part, puis on le retrouve deux saisons dans le club anglais de Torquay United où il jouera 21 matchs de ligue et marquera 10 buts. Le chant du cygne en quelque sorte. Car va s’ensuivre une vie d’errance qui le conduira en Ecosse, puis en Suède, pour terminer dans les clubs les plus improbables en Australie ou en Nouvelle-Zélande. En 1997 il déclare se retirer du football professionnel. Il a trouvé un poste d’entraîneur aux Etats-Unis, dans le club de Baltimore, le Mania du Maryland, qui est alors en pré-saison, le club venant à peine de se constituer. Mais il apprend qu’il est accusé d’agression sexuelle par un jeune joueur du club, âgé de 17 ans, donc mineur, avec lequel il aurait partagé quelques bières, au cours d’une soirée chez lui. Il est interrogé par la police et quelques jours après il prend l’avion pour retourner au Royaume-Uni afin d’échapper aux poursuites. Il va séjourner dans un centre religieux avant de rentrer à Londres où il contacte ses amis et son ancien agent Eric Hall dans l’espoir de vendre son histoire à la presse, une histoire dans laquelle la victime serait en réalité un maître-chanteur. Mais Eric Hall ne répondra pas à l’appel car il est malade, un geste que celui-ci dira avoir regretté par la suite. Deux jours après, Justin Fashanu était retrouvé dans un garage désaffecté de l’est londonien : il s’était pendu à l’aide d’un câble électrique. Dans une lettre qu’il a laissée il jure son innocence. Quelques heures avant sa mort des témoins certifieront l’avoir aperçu dans un sauna gay de Londres. Entre-temps les poursuites aux Etats-Unis avaient été abandonnées faute de preuves. Mais ça Justin Fashanu le l’a jamais su.
Le garage abandonné de l’est londonien où a été retrouvé le corps sans vie de Justin Fashanu.