J’ai lu « Les Nouveaux Inquisiteurs » de Nora Bussigny, juste histoire de voir. Résultat des courses : j’ai lu, j’ai vu, je ne suis pas convaincu.
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On n’y apprend pas grand-chose, par exemple aucun lien de causalité n’est jamais établi, pas la moindre démarche sociologique pour expliquer ce que le livre nous donne à voir, la terrifiante menace qui pèse sur notre société aujourd’hui qu’est le wokisme, En vérité, je m’en doutais un peu. Il faut dire que je n’attendais pas grand chose de ce livre, à part les gros sabots d’une journaliste par avance convaincue de son propos. J’avais auparavant écouté les interviews de l’auteure à l’occasion de la sortie des Nouveaux Inquisiteurs, et la lecture du bouquin s s’est révélée à la hauteur de mes craintes. Un conseil avant de lire ce livre : prenez-le sous l’angle d’une bonne blague, ça passera mieux.
L’auteure, Nora Bussigny, journaliste, qui travaille pour le Point et pour le Figaro (qui est surpris ?) prend son courage à deux mains pour infiltrer ces fameux milieux woke, Revêtue de ce qu’elle pense être la tenue de camouflage appropriée : cheveux teints en rose, faux piercings et tatouages bidon, la journaliste franco-marocaine (elle insiste beaucoup là-dessus), nous livre un reportage effectué incognito, en « full immersion ». On tremble : et si sa véritable identité était découverte, quel sort horrible lui serait réservé ?
Militantes féministes, mouvements LGBTI (que la Russie vient de classer au rang des organisations extrémistes d’ailleurs) et anti-racistes, Nora Bussigny nous propose donc une plongée dans l’univers décolonialiste, transféministe et intersectionnel. Le résultat est un assemblage décousu de récits, sorte de témoignages « coup de poing ». Et on a même le droit aux comptes-rendus de ses séances chez le psy, car la journaliste doute ou craint de voir sa raison vaciller. Mais qu’on se rassure il n’en sera rien et Nora Bussigny surmontera cette année en enfer avec le sentiment d’avoir agi pour le bien commun. Tout juste craint-elle une lapidation de celleux qui pourraient s’estimer trahi.es, mais qu’on se rassure, ça n’arrivera pas ; en revanche, son livre recevra un accueil bienveillant de la part des médias de droite, télévision, radio, presse…
Mais alors, tout est-il à jeter dans le bouquin ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, la réponse est : non, pas tout à fait. À travers les situations dépeintes dans les Nouveaux Inquisiteurs à grand coup de truelle, force est de constater qu’il y a quand même des choses qui ravivent de (mauvais) souvenirs parmi nous-autres militants pourtant persuadés d’être placés du « bon côté de la barrière » : accusations en infamie, procès en sorcellerie, hallali sur les réseaux sociaux, un renversement des causes et des conséquences, instaurant un malaise que nous aurions voulu être celui de nos adversaires. Je ne parle pas de la scission au sein du militantisme LGBTI+ , conséquences d’un point de rupture entre deux visions politiques inconciliables, et dont les évènements survenus récemment au Centre LGBTI+ de Lyon peuvent témoigner. Il s’agit d’un autre phénomène, on peut parler d’un épiphénomène. La colère est parfois grande, elle est souvent juste, mais elle est stérile quand elle se trompe de cible et nous amène à nous bouffer le foie entre nous.
Les militant.es qui se battent pour l’inclusion, c’est plus que réjouissant, leur grille de lecture (qui, si on s’intéresse aux origines, ne peut pas être réduite à la seule expression d’une idéologie venue d’ailleurs) est un outil militant de premier intérêt, un angle d’attaque qui trouve un écho jusque dans nos vécus : l’ériger en dogme est une dérive (« La bouse de la vache est plus utile que les dogmes : on peut en faire de l’engrais » – citation de Mao Tsé-Tung. J’avais trop envie de la placer celle-là pour faire mon malin). Mais le dialogue se fait jour parfois et alors c’est alors que nous sentons que nous pouvons enfin avancer.
Le mal fait son chemin là où les esprits s’égarent et où les énergies se gaspillent. Les Nouveaux Inquisiteurs, littérature paresseuse et biaisée, sous couvert d’une grande enquête journalistique en constitue un parfait exemple, un cas d’école.
Gérald Russo.