Vacances… et avant la reprise, un peu de cogitation estivale. Le sujet du jour : le wokisme ! Devons-nous vraiment en avoir peur ?
Le wokisme, cette horrible hydre de Lerne, le dogme importé de l’étranger, ennemi du pacte républicain français et de la liberté d’expression ! La dictature wokiste (parfois associée avec l’islamo-gauchisme) est en marche, et ce n’est pas l’ex Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui dira le contraire… P.I.R. !!! Le wokisme a infecté le corps militant LGBTI+ Enfer et damnation !
Avant de continuer, une précision : nous autres des émissions LGBTI+ de Radio Pluriel nous pensons que le discours de la droite conservatrice (qu’il émane de la droite dite républicaine ou de l’extrême-droite, désormais représentée de manière conséquente au Parlement) est fondamentalement délétère ; aucune compromission n’est possible. C’est dans notre ADN, et c’est comme ça.
Mais sommes-nous pour autant des militant.e.s s extrêmes-gauchistes nourris au poison du wokisme ? La réponse est non, puisque tout cela n’existe pas… enfin le wokisme n’existe pas surtout… Le wokisme n’est ni un parti politique, ni une école philosophique, ni une discipline scientifique, cet attribut n’a de valeur que pour celles et ceux qui le dénoncent, ou l’art de lutter contre des moulins à vent. Mais il ne faut pas s’y tromper : si la stigmatisation du « wokisme » n’est souvent que le reflet d’une pensée raciste qui ne veut pas dire son nom, elle peut tout aussi bien provenir de la gauche que de la droite au prétexte de la défense des valeurs de la République. Essayons d’y voir un peu plus clair, au-delà de cet enfumage.
En fouillant un peu au-delà de toutes ces gesticulations, nous trouvons des études françaises parues dès le début des années 50 : si les œuvres de Lévi-Strauss dans le domaine de l’anthropologie et celles de Sartre dans le domaine philosophique figurent en tête de gondole, c’est parce qu’elles sont en quelques sortes la matrice sur laquelle reposeront toutes les études postcolonialistes et intersectionnelles des années 70 dans les universités américaines. La critique de l’ethnocentrisme par Lévi-Strauss et la thèse existentialiste de Sartre, sont les mamelles du post (ou dé)colonialisme et de l’intersectionnalité, le terreau fertile en somme. « Focalisation sur l’identité » disent les pisse-froid d’aujourd’hui. Non car il s’agit en fait de trouver de nouveaux biais pour appréhender le fait humain dans sa globalité à travers les relations complexes qui interviennent entre les individus, l’individu étant considéré comme faisant partie d’un tout. On est donc loin des anathèmes du genre communautarisme opposé à l’universalisme, théorie venue de l’étranger incompatible avec les idéaux républicains etc…
Ci-dessus : Claude Lévi-Strauss, ethnologue et anthropologue.
Le « wokisme », ennemi de la République ? La critique de l’universalisme à la française n’est pas nouvelle, elle remonte même au début de la Révolution. Dans les années 60 la montée en puissance du structuralisme (auquel se rattache en quelque sorte Lévi-Strass) entraîne un renouvellement de cette critique (que l’on retrouve chez Gilles Deleuze et Jacques Derrrida, par exemple, et plus tard sous la plume de Michel Foucauld) ; c’est surtout le pacte républicain à la française qui est visé par cette critique : « L’universel est un cache-sexe qui ne recouvre le plus souvent que du masculin… » écrit Michèle Perrot, « La France est un pays où l’idéalisme de l’intégration républicaine… nie les différences ethniques et culturelles… » rajoute Jacques Pouchepadass, tous deux historiens. D’abord réservée au champ philosophique, puis à celui des sciences humaines, cette critique s’est installée dans la vie politique française, le débat houleux sur le port du hijab, et sur la laïcité qui en découle, n’en est qu’un des avatars les plus connus, avec tout le lot de contre-vérité qu’il comporte.
Pour ma part, ce débat qui agite souvent de manière très vive la sphère militante LGBT me laisse parfois confondu par la mauvaise foi qui y préside, et pas seulement celle des détracteurs : il existe parfois une forme de glissement idéologique qui se traduit par un dévoiement de la pensée postcolonialiste et intersectionnelle dans ce qu’elle a de plus fondamental. Des associations telles que le mouvement des Indigènes de la République pour qui « l’homosexualité est une invention occidentale imposée à l’Afrique et au Maghreb… un impérialisme des modes de vie », nous en fournit un exemple. Certains pays y trouvent la justification de la pénalisation de l’homosexualité et des violences faites aux personnes LGBT, du pain béni pour confirmer les « antiwokes » dans leurs convictions. Non, s’inspirer de la pensée postcoloniale et intersectionnelle ne revient pas à adhérer au Parti des Indigènes de France…
C’est simplement se mettre en capacité de faire une réflexion sur soi-même, créer des ponts avec les autres, au-delà même du simple sentiment d’empathie, faire communauté en effet, un mot qui ne devrait pas être vu comme un blasphème, c’est avoir une conscience politique qui ne peut que se traduire par le rejet des idées de l’extrême-droite dont on sait que, par un mécanisme malheureusement bien rôdé, présent dans toute son histoire, la perversion de la parole est le moteur essentiel et quasi constitutif de son caractère, habile à distiller une rhétorique capable de séduire, comme le chant des sirènes, jusqu’à ses cibles potentielles.
De quoi se faire retourner tous les Lévi-Strauss et les Sartre dans leur tombe.