Dans notre précédent article, il était question des débats houleux qui ont alimenté la proposition de loi sur le PACS en 1998 et 1999. Une personnalité politique s’est très vite distinguée par son ardent combat anti-PACS : Christine Boutin.
_La croisade de christine Boutin_
(sous-titre : où l’on a compris que le terme « homophobie » n’était pas un vain mot)
En 1998 la proposition de loi relative à la création du PACS va provoquer des séances houleuses à l’Assemblée Nationale. Nous en avons suivi l’historique lors de notre précédent article, rappelant le rôle de Mme Boutin à cette époque. L’Histoire a gravé l’image de Christine brandissant une bible du haut de son banc de député dans l’hémicycle, et si l’image la plus marquante restera à jamais celle de Christine gisant inanimée et gazée sur le pavé de Paris appartient aux évènements liés aux débats sur le Mariage Pour Tous en 2012, Boutin reste pour le commun des mortels le principal porte-drapeau de la mobilisation anti-PACS, et de manière générale la pasionaria de la lutte contre tous ceux qui portent atteinte aux valeurs de la famille traditionnelle. Avec comme bannière l’héritage socio-culturel de 2000 ans de christianisme. Hélas l’arrière-plan homophobe de toute cette rhétorique a le débat politique. Mme Boutin a souvent nié le caractère homophobe de ses propos ou le fait d’être elle-même homophobe lorsqu’elle était attaquée directement sur ce plan. Pourtant « Ne pas juger les pécheurs » c’est se placer en position de considérer l’homosexualité comme un péché, argument difficilement recevable dans une société laïque pourrait-on dire, mais qui a servi de toile de fond à toutes les actions des opposants à la loi. Mme Boutin n’a malheureusement jamais failli à son credo homophobe. Voici un petit catalogue de ses tirades les plus célèbres, prononcées tant à l’Assemblée Nationale, que dans la presse ou les micros des journalistes. Dans le cadre des débats sur le PACS : « on ne peut pas ériger en norme l’homosexualité car par nature l’homosexualité c’est la difficulté d’atteindre l’autre par sa différence, c’est l’exclusion » « inscrire l’homosexualité dans le Code Civil serait lui accorder une certaine valeur de modèle » – on était alors dans le cadre de la discussion sur la famille et les nouvelles solidarités, et pourtant Christine Boutin a plusieurs fois évoqué l’homosexualité comme une menace pour la société ou une incitation à la débauche, au prosélytisme, qui seraient en puissance contenue dans le texte de loi. Elle évoquera alors comme plus plus tard concernant la loi Mariage Pour Tous un effondrement de la société : « Une société qui mettrait sur le même plan l’homosexualité et l’hétérosexualité travaillerait à sa propre disparition et pourrait compromettre gravement l’éducation des enfants. » « Mettre sur le même plan ces deux conduites, c’est reconnaître le choix de l’individu comme un absolu qui n’est soumis à aucune norme objective morale ou sociale. » « Certains modes de vie ne sont nullement bénéfiques pour le corps social et le droit ne doit jamais s’y conformer ». (à l’Assemblée Nationale, novembre 1998, discours sur l’irrecevabilité de la loi).
Plus récemment notre amie Boutin s’est fendue de quelques déclarations qui valaient leur pesant d’or en matière de préjugés sur l’homosexualité. On a eu droit à « les femmes ont besoin de vrais hommes, pas de guimauves efféminées » – les guimauves vous remercient madame – « on est envahis de gays, la mode c’est les gays » – ce qui a déclenché pas mal de détournement d’affiches de séries B où des hordes de gays remplaçaient les envahisseurs extra-terrestres – et puis cette sortie sur twitter : « malaise devant Conchita Wurtz d’une société en perte de repère niant la réalité de la nature humaine. Non à cette Europe-là » – Madame Boutin est obsédée aussi par la fameuse théorie du genre qu’on chercherait à nous imposer – Mais de toutes ces sorties une des dernières lui a valu une condamnation par le tribunal correctionnel à verser 5 000 euros aux associations plaignantes pour « provocation à la haine ou à la violence » envers les homosexuels. En effet lors d’un entretien publié dans le magazine Charles d’avril 2014 elle avait déclaré : »l’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné ».
Le 31 janvier 1999 eut lieu à Paris une grande manifestation organisée par le Collectif « Génération anti-Pacs » Plusieurs associations confessionnelles s’étaient rassemblées sous ce nom pour former un front anti-PACS, le tout sous l’égide de notre Christine Boutin. Il s’agissait de frapper l’opinion et de montrer à quels points les valeurs de la famille traditionnelle étaient encore portées par une grande partie de la France. Avec l’espoir peut-être de faire reculer le gouvernement Jospin comme le gouvernement Mauroy avait reculé face à la mobilisation contre le projet de loi Savary en 1984 concernant l’enseignement. Mais, premier échec, ce collectif ne fut pas le mouvement oecuménique tant souhaité puisque seulement deux fédérations protestantes et un groupe musulman minoritaire s’y étaient associés. Les associations familiales et catholiques, et l’Alliance pour les droits de la vie de Christine Boutin, représentaient le gros des troupes. On était alors entre les deux « tours » de la navette parlementaire et les débats à l’Assemblée avait déjà été très vifs. On y avait notamment entendu le discours fleuve (5 heures et demi) de Madame Boutin. Celle-ci avait utilisé toutes les capacités des réseaux catholiques en France pour aboutir à la création de ce collectif et à l’organisation de cette journée qui se voulait mémorable, le tout bénéficiant d’une large couverture médiatique.
Le jour prévu pour la manifestation, un dispositif nouveau de comptage des manifestants avait été installé par la Préfecture de Paris, des portiques électroniques à l’entrée du pont de l’Alma par lesquels les participants à la manifestation étaient invités à passer : ce qui avait donné au final le chiffre de 100 000 manifestants, bien moins que celui escompté par les organisateurs.
Ceux-ci avaient préparé un défilé festif, avec chars sonorisés , t-shirts de couleurs, sifflets et banderoles rutilantes, et des podiums à l’arrivée. Un pied de nez aux gay-prides : l’objectif était tout aussi bien la démonstration de la « la colère du peuple » contre le PACS que l’affirmation qu’être hétéros c’était tendance et festif, une hétéro-pride en somme. En tête de cortège outre notre Christine nationale, Philippe de Villiers, Charles Millon, Hervé Gaymar, et quelques autres représentants du RPR et de Démocratie Libérale, Bruno Gollnisch et Marie-France Stirbois pour le FN, les époux Mégret pour le Mouvement National Républicain. Quelques élus avec écharpes tricolores. Le cortège bruyant composé essentiellement de familles, adultes, adolescents et enfants, venues pour la plupart de province s’est dirigée vers la Place du Trocadéro, point d’arrivée de la Manifestation où une belle surprise attendait les participants.
Il faut savoir que le matin même Christine Boutin avait été réveillée en fanfare chez elle à Auffargis (Yvelines) par une vingtaine de militants d’Act-Up aux cris de « Boutin ! Homophobe ! » L’association de lutte contre le sida avait bien décidé de jouer les troubles-fête. L’après-midi sur la place du Trocadéro, les manifestants rassemblés devant le podium où les organisateurs scandaient leurs tirades contre le PACS virent soudainement une immense banderole verticale se déployer sur la façade du Palais de Chaillot portant en très grosses lettres le mot « homophobes » ! Mais laissons Céclile Lhuiller d’Act-Up témoigner de cette journée mémorable :
« L’action était prévue de longue date. Avec la complicité d’une partie du personnel du Palais Chaillot, Act-Up Paris avait installé la veille, au dessus d’une des 3 portes du Théâtre, une immense banderole verticale. Sur la banderole, un seul mot: “HOMOPHOBES”, et 3 signatures: Act-Up Paris, Observatoire du PaCS et Les Folles de Chaillot. La banderole était fixée à une lourde barre métallique, il n’y avait qu’à tirer sur 2 cordes pour la déployer. À l‘heure dite, recouvert d’autocollants anti-pacs censés nous protéger (“2 mamans, 2 papas, bonjour les dégâts”, “P.A.C.S = mariage homo”) notre petit groupe s’est rassemblé sous la banderole, 2 militant-e-s l’ont déployée.
Du haut des quelques marches qui permettent l’accès au Théâtre de Chaillot, nous avons vu les regards se tourner vers nous, des milliers de regards. Quelques cris de rage, et cette ruée, cette marée humaine qui déferle sur nous.
Des jeunes en tenue bariolée, arborant le t-shirt “PaCS OUT” distribué pour l’occasion, des moins jeunes, venus en famille, des hommes, des femmes, mus par une haine commune, et à cet instant incontrôlée. Ils et elles sont plusieurs à escalader la haute porte pour tenter d’arracher l’immense dais noir, s’y agrippant au risque de faire tomber sur la foule la barre de fer qui la soutient. Nous tentons d’éloigner du portail ces furies, en simulant d’être des leurs, mais les autocollants dont nous sommes affublé-e-s ne donnent pas longtemps le change : nous sommes poussé-e-s, bousculé-e-s, et les insultes pleuvent.
“Allez crever avec votre sida!”, “les pédés, au bûcher!”, “j’vais t’crever!!”…
Nous sommes repéré-e-s et les violences s’intensifient, des coups déferlent, mais la banderole demeure. Les journalistes présents qui la filment sont également molestés, leur matériel est jeté à terre. Le long drap noir a résisté une dizaine de minutes. Une éternité. Certains ont même tenté d’y mettre le feu, puis l’ont piétiné.
Nous sommes reparti-e-s ensemble, vers des quartiers moins hostiles.
Il a fallu quelques temps, à quelques-un-e-s d’entre nous, pour nous remettre de cette journée… »
(Témoignage recueilli par Yagg)
Des instructions avaient été données aux manifestants de ne rien tenter qui puisse laisser supposer une quelconque homophobie de la part des marcheurs de « Génération anti-Pacs ».
Visiblement certains n’avaient pas bien lu les consignes !
La loi instituant le PACS a été définitivement adoptée à l’Assemblée Nationale le 13 octobre 1999 et promulguée le 15 novembre suivant.
Alors que les opposants au PACS avaient centrés leurs discours sur la défense de la famille traditionnelle, donc hétérosexuelle, et la protection des enfants, il s’avère que le PACS est venu combler un vide juridique qui concernait majoritairement les couples hétérosexuels ! Et cela nul ne l’avait prévu ! Les dernières statistiques officielles remontent à 2014. Cette année-là 173 728 PACS ont été conclus. Seulement 6262 PACS concernaient ces couples de même sexe, soit 3.6 % : 3517 PACS entre partenaires hommes et 2742 PACS entre partenaires femmes, soit respectivement 56 % et 44 % de l’ensemble des PACS homosexuels. Il faut tenir compte de la promulgation de la loi Taubira en 2013 qui explique une baisse du nombre de PACS entre personnes de même sexe en 2014 : cependant en 15 ans le pourcentage de PACS homosexuel n’a jamais excédé 5 % du nombre total.
Christine Boutin : la bio (source : Le Point.fr)
Christine est née le 6 février 1944 dans l’Indre.
Diplômée d’une maîtrise de droit et députée des Yvelines de 1986 à 2007, elle se fait connaître pour ses valeurs chrétiennes et sa lutte contre le Pacs en 1998.
Elle se présente à la présidentielle de 2002 sous la bannière du Forum des républicains sociaux (FRS), proche de l’UMP.
En 2006, elle se rallie à Nicolas Sarkozy, dont elle devient l’une des conseillères politiques.
De 2007 à 2009, elle est ministre du Logement.
Elle a été la candidate du Parti chrétien-démocrate (ex-FRS) à la présidentielle de 2012.
Elle a été aussi tête de liste aux européennes 2014 dans la circonscription Île-de-France avec sa formation politique intitulée Force Vie mais a obtenu un résultat très faible de 1,20 % des voix.
(à suivre)
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