L’Israël de l’Antiquité est originellement une société nomade et tribale, de type patriarcal. Pourtant, en cherchant bien dans les textes fondateurs, se rencontrent de-ci de-là les vestiges de ce matriarcat « originel » tel que décrit dans l’article précédent.
Le sacrifice d’Abraham sur son fils Isaac évoque deux aspects de la Bible : métaphysique d’abord par ce qu’il affirme la prééminence de Dieu sur tout ce qui existe, mais aussi législatif car l’ange de Dieu arrêtant le geste d’Abraham suppose qu’à un moment donné les violences patriarcales au sein d’Israël ont du être tempérées.
Côté patriarcat chez les Hébreux, on ne fait pas dans la demi-mesure, puisque l’époux et père a quasiment un pouvoir de vie et de mort sur son épouse et sa descendance, qu’il peut chasser une épouse qui ne lui donne pas satisfaction, avoir dans son foyer une ou plusieurs concubines, et que seuls les enfants reconnus par le père seront élevés. La transmission des biens et les alliances claniques se font par les hommes, ce qui ne va pas sans rivalité dans les fratries où prévaut le droit d’aînesse (l’histoire de Caïn et d’Abel est une transposition des guerres fratricides que cela pouvait engendrer). Ce système patrilinéaire s’inscrit dans un ensemble de coutumes transmises oralement d’abord, puis transposées, avec des nuances, dans les textes bibliques et plus tard dans ceux de la Torah et du Talmud. Il suffit de lire le récit de la création du monde et d’Adam et Eve (vilaine fille ! La cause de tous nos malheurs) : on est loin des déesses-mères universelles de la Préhistoire !
Et pourtant on découvre dans les récits de la Genèse les indices d’un statut bien meilleur dont les femmes auraient pu bénéficier à des époques lointaines du nomadisme hébraïque. Par exemple, les récits concernant Sarah qui, malgré son statut de femme mariée, conserve des biens en propre et réclame à son époux Abraham le départ de sa concubine égyptienne Agar et de la progéniture qu’il en a eu – afin de préserver l’héritage de sa propre descendance. Plus encore, la preuve d’une telle survivance se traduit-elle dans le principe de la transmission matrilinéaire de la judéité (même si celle-ci est régulièrement remise en cause) : en effet, ne peut être considéré juif qu’un enfant né d’une mère juive, et ce, quelque soit la religion du père. C’est donc la mère seulement qui transmet à ses enfants la confession religieuse. Il s’agirait là d’une tradition orale remontant au Sinaï (donc à une époque où le peuple juif était encore nomade), qu’on ne retrouve pas dans la Bible mais qui est appliquée de façon certaine dès le 2ème siècle de notre ère et qui sera reprise plus tard dans la transcription du Talmud. La civilisation occidentale est l’héritière à la fois d’Israël, de la Grèce et de Rome. Ce qui caractérise ces civilisations-là, c’est leur caractère patriarcal bien marqué et le statut d’éternelles mineures attribué aux femmes, qui passent de l’autorité de leur père à celle de leur époux sans avoir leur mot à dire !
Les Grecs de l’Antiquité ont une vision totalitaire, fantasmée (Freud dirait castrateur), d’une société qui serait dominée par les femmes, comme un souvenir vague et effrayant d’une époque heureusement révolue, que symbolise bien le mythe des Amazones. Dans la mythologie, les femmes conservent en effet un pouvoir que l’on ne retrouve plus chez le commun des mortels, reliquat probable des cultes de la fertilité pré et proto-historiques – ainsi : les récits liés à la création du monde, ou le culte rendu à certaines divinités féminines telles qu’Artémis la chasseresse ou la guerrière Athéna, également déesse de la sagesse et des sciences. Dans la culture grecque, le lignage et l’éducation sont avant tout une affaire de mâles : les filles sont confinées au gynécée et, en dehors des tâches quotidiennes dévolues aux femmes, leur éducation reste très limitée. La citoyenneté leur est refusée. Le rapt des femmes des peuplades vaincues par leurs vainqueurs est une forme courante de mariage forcé, particulièrement en vogue au cours de la période archaïque – celle de l’expansion grecque autour de la Méditerranée.
La déesse Artémis est représentée ici sous une forme symbolisant la fécondité, avec ses multiples seins nourriciers, lointaine descendante des vénus préhistoriques.
L’exception notable (qui scandalise les autres peuplades grecques), c’est Sparte ! Les femmes y reçoivent, comme les hommes, une éducation sportive et militaire, et elles peuvent concourir à des jeux sportifs – fait unique en Grèce. L’âge du mariage est plus élevé chez les jeunes filles spartiates que chez les athéniennes. En outre, les époux ne vivent pas nécessairement sous le même toit : ils peuvent choisir de vivre séparément, et le mari qui vit à la caserne, vient se glisser furtivement dans le lit de son épouse avec le consentement de celle-ci ! Mieux encore : l’épouse peut concevoir des enfants hors-mariage – l’importance de la progéniture, fille comme garçon, étant stratégique pour l’organisation militaire de Sparte. Les enfants sont d’ailleurs élevés et éduqués par la communauté pour la défense de la patrie, et le principal lien filial qu’ils conservent est avec leur mère naturelle. On sait aussi que malheureusement l’eugénisme était pratiqué par l’élimination des enfants « mal-nés », considérés comme inaptes à devenir d’intrépides guerriers ou guerrières. Enfin, il semblerait que le niveau d’alphabétisation des femmes spartiates ait été bien plus élevé que la moyenne des femmes grecques de l’Antiquité.
La civilisation étrusque a connu son apogée en Italie centrale au 5è siècle avant notre ère : contrairement à la Grèce ou à Rome, le statut des femmes y était beaucoup plus élevé.
On retrouve à Rome bien des traits communs avec la Grèce. Le pater a droit de vie et de mort sur la familias, à savoir tout ce qui vit sous son toit, donc femme, enfants et esclaves – même si, à partir des dernières années de la République, les mœurs se sont quelque peu adoucies sous l’influence de la philosophie stoïcienne. Si le père ne reconnaît pas ses enfants, ceux-ci sont abandonnés aux abords des temples. Le paterfamilias peut adopter des enfants mâles, parfois des adultes, qui acquièrent dés lors un statut équivalent à celui de ses enfants naturels, les supplantant parfois dans l’ordre de l’héritage. Lui seul décide de qui héritera ou pas de ses biens, de ses titres (et au niveau le plus haut de l’Etat, de la succession impériale). Comme en Grèce, les garçons reçoivent une éducation plus poussée que celle des filles qui, à partir de 8 ans, sont entraînées par leurs mères et les esclaves de la familias à devenir de parfaites futures épouses. En outre, il semble bien que le viol ait été une pratique répandue à en juger par les graffitis nombreux découverts à Pompéi à ce sujet et, si les lois pénalisent les « abus sexuels » (le stuprum), elles ne protègent pas les non-citoyens ou ceux qui n’ont pas de moyens suffisants de se pourvoir en justice.
Le succès du christianisme va réunir les deux systèmes patriarcaux, celui issu des textes religieux réglant la vie des Hébreux, et celui du monde gréco-romain, transcrit dans les lois du droit civil latin. Pourtant le message christique porte certaines valeurs qu’on qualifierait plus volontiers de féminines, de féministes même, en rupture avec la société mâle et virile où a vécu Jésus.
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