Après les calamités qui ont longuement marqué la fin du Moyen-Age, le 16ème siècle en son commencement apporte un nouveau souffle à l’Europe tant sur le plan économique (les richesses du Nouveau Monde affluent), que culturel (influence prépondérante de la Renaissance italienne, recul de la scolastique médiévale face à l’humanisme) ou politique (renforcement des monarchies – anglaise, espagnole et française, notamment). En ce qui concerne la France, l’ascenseur social promeut principalement les commerçants et les artisans qui détiennent le pouvoir dans les centres urbains, occupent l’essentiel des sièges dans les parlements et sont appelés par la Monarchie pour l’assister aux affaires. Se dessine peu à peu le visage de l’Ancien Régime tel qu’il perdurera jusqu’en 1789, avec ses aristocrates et ses bourgeois – deux clans disparates, mais suffisamment perméables pour laisser espérer aux roturiers habiles ou méritants, l’acquisition d’un titre de noblesse envié et convoité !
Une famille paysanne relativement aisée telle que l’a peinte Le Nain au 17ème siècle : trois générations vivent sous le même toit.
Schématiquement, l’aristocratie, dépositaire d’une tradition issue de la féodalité, reste la championne de la famille élargie fondée sur le lignage dynastique, tandis que la bourgeoisie s’inscrit dans un modèle dit « mononucléaire », organisé autour du couple, et mettant en avant l’autorité paternelle. L’extension du droit latin en Europe entraîne alors un recul du droit des femmes : interdiction de léguer des biens, de posséder une fortune personnelle, soumission à l’autorité du père puis du mari. Le point commun entre les deux « castes » c’est l’endogamie : on s’épouse la plupart du temps entre personnes de même condition sociale.
La Renaissance française est également marquée par des convulsions importantes sur le plan religieux, source de conflits permanents et sanglants dans la seconde moitié du 16è siècle. Le Protestantisme, par son retour aux sources de l’Ancien Testament, va influer fortement sur l’évolution de la famille, principalement dans les régions d’Europe où il triomphe. Par exemple, le mariage n’y est pas un sacrement, comme dans l’Eglise catholique, mais une bénédiction – c’est la fin du dogme de l’indissolubilité ! Mais qu’on ne s’y trompe pas : le statut de la femme protestante n’est guère plus enviable que celui de la femme catholique ! Les femmes sont soumises à une très forte pression sur leur comportement social et jusque dans leur intimité. Elles dépendent exclusivement de l’autorité de leur époux qui seul peut exiger la répudiation (pour des raisons valides et après délibération d’un conseil religieux, cependant). Dans de rares cas, les femmes de la religion réformée peuvent aussi demander la dissolution du mariage (en cas de non consommation par le mari, par exemple, ou si celui-ci exige exclusivement des pratiques sexuelles non procréatrices). Mais on a peu d’exemples dans ce domaine, ne serait-ce que d’un commencement de procédure, et le divorce est majoritairement du fait du mari. En réalité, le protestantisme renforce les côtés les plus rigoristes du mariage ! Une moralité sévère préside aux règles de vie entre les époux et au sein de la famille.
Le 17è siècle s’ouvre sur la paix religieuse (Édit de Nantes) mais sera marqué par l’alliance toute de circonstance entre aristocratie et bourgeoisie parlementaire, vent debout contre la politique de centralisation monarchique menée par Richelieu, puis, lors de la minorité de Louis XIV, par son successeur Mazarin (épisode de la « Fronde »). La fin du siècle est à nouveau marquée par des querelles religieuses, de salon celles-ci, mais opposant deux visions opposées du christianisme : une approche optimiste soutenue par les Jésuites – l’homme par ses actes peut se racheter du péché originel – et une vision pessimiste influencée par les écrits de Saint-Augustin et les théories de la prédestination, soutenus par un véritable parti de plus en plus politique : les Jansénistes. On peut rattacher à cette querelle les courants « libertins » : les libre-penseurs, matérialistes, affirment la primauté de la Nature et de l’expérimentation sur la métaphysique religieuse, allant jusqu’à prôner l’athéisme ou l’agnosticisme. Ces bouleversements intellectuels vont fréquemment remettre en cause le dogme catholique issu de la Contre-Réforme, avec des conséquences sur la manière de considérer le rôle de la famille : si les Jésuites ont une vision traditionnelle, la famille est placée par les Jansénistes sur un plan secondaire. Ainsi, la cellule familiale garde son importance mais n’est plus au centre de la construction sociale. Quant aux libertins (au sens de l’époque), ils remportent la palme de la modernité selon nos concepts, là où la part du choix personnel, du libre-arbitre, du sentiment mutuel, devient prédominante dans la formation du couple, et par conséquence de son caractère révocable !
Une famille protestante au 17ème siècle.
Pourtant, aux 17è et 18è siècles, le modèle familial ne connait pas une mutation profonde ; il reste fondamentalement enraciné dans les habitudes sociales et culturelles des différentes castes de la société d’Ancien Régime. L’aristocratie a une conception élargie de la famille, où maîtresses et enfants bâtards font parfois partie de la maison (l’épouse n’ayant alors d’autre choix que de se taire, ou prendre discrètement un amant), tandis que la bourgeoisie célèbre le couple légitime fondé sur la fidélité, le devoir d’assistance, et l’autoritarisme patriarcal qui ne laisse aux femmes aucun pouvoir légal. Le modèle « bourgeois » qui tend à se répandre ne sera toutefois pas adopté de façon très égale surtout dans les couches inférieures de la société. Les mariages y sont en général tardifs (la moyenne haute chez les hommes est 30 ans, 25 chez les femmes), le célibat se développe, les grossesses hors-mariage sont fréquentes, et des enfants illégitimes sont souvent déposés à la porte des monastères. Filles publiques et bordels sont nombreux, particulièrement à Paris, et source de diffusion de maladies vénériennes.
Les 17è et le 18è siècles sont également des périodes où l’amour filial marque le pas, l’amour paternel aussi bien que maternel étant valorisés (même si la célèbre passion maternelle de Madame de Sévigné pour sa fille demeure un exemple exceptionnel pour l’époque). Les garçons ne sont plus extraits du domaine familial pour recevoir à l’extérieur une éducation miliaire : les parents prodiguent, au contraire, tous leurs soins au choix des précepteurs qui apprendront leurs humanités tant aux garçons qu’aux filles, l’éducation de celles-ci étant beaucoup plus poussée qu’elle ne l’aura jamais été dans les siècles précédents. Les enfants reçoivent plus d’attention de la part de leurs parents mais ils n’en constituent pas moins une petite société à part entière. Le cercle familial fonctionne en effet comme des mondes séparés : les enfants, mis en nourrice à la naissance, et dont le costume est unisexe jusqu’à l’âge de sept ans, mangent, jouent, étudient entre eux sous la férule des précepteurs, des gouvernantes et des valets selon un emploi du temps précis et rigoureux, dans lequel le temps accordé aux parents est lui-même chronométré. Rien n’enchante plus les enfants que la visite surprise du père ou de la mère pour quelques jeux improvisés. Mais dans les familles aristocratiques moins bien loties ou au sein de la bourgeoisie quand elle n’a pas les moyens de vivre comme de riches aristocrates, les rapports de proximité sont renforcés entre parents et enfants ne serait-ce que par la promiscuité de logements plus modestes que les grandes demeures seigneuriales.
Famille d’aristocrates au 18ème siècle.
Dans les couches populaires de la population, les enfants connaissent parfois un sort bien cruel, notamment à l’époque des grandes famines, récurrentes sous le règne de Louis XIV : le sort du Petit Poucet de Charles Perrault n’est que la triste illustration de ce que la misère pouvait provoquer à une époque où des parents étaient contraints d’abandonner des enfants qu’ils ne pouvaient pas nourrir ! Quant à l’éducation, on imagine bien qu’elle y était plutôt délaissée, même si on constate au 18è siècle un progrès de l’alphabétisation grâce souvent aux œuvres religieuses : progrès tout relatif car à la veille de la Révolution environ 40% des hommes et 20% des femmes seulement pouvaient signer leur nom sur les registres des mariages, tenus par les paroisses.
A l’époque suivante, la Révolution puis le Code Civil vont bientôt cristalliser dans la société française le concept bourgeois du mariage et de la famille ; nous verrons comment au prochain épisode !
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